dimanche 28 juin 2015

Les yeux de Julien (extrait d'un manuscrit)



Des yeux bleus très clairs sous un front bien apparent – ce sont les yeux de Julien. Après mon entretien téléphonique avec mes beaux-parents nous sommes descendus au bar d’en bas boire un coca. Les ombres des pigeons effleurent le temps d’une seconde le sol courbé de la chaussée. Des particules microscopiques dansent dans les verres. Julien lève le regard.

« Tu es un garçon formidable », lui dis-je, et il dévie aussitôt ses yeux de mon visage. Une vague d’émotions m’envahit et je lui dis : « tu veux pas… tu sais, je t’ai toujours aimé, inconditionnellement. »
« Ça veut dire quoi ? »
« Absolument. Dans toutes les circonstances. Sans jamais soumettre mon amour à une condition. »

Il esquisse une moue crispée de la bouche, le regard dévie encore.

« Dès la première seconde je t’ai inconditionnellement aimé, de tout mon cœur. J’avais tellement souhaité que tu sois complet. Que rien ne te manque. Quand l’infirmière t’a sorti de la salle d’accouchement et t’a allongé devant moi sur une petite table, je t’ai examiné de haut en bas, les pleurs dans la gorge. J’ai tout vérifié, ta bouche, les oreilles, tes petites mains, ton zizi, ton nez, tout, tout. J’étais tellement obsédé par ce seul désir : que tu sois complet. Que rien ne te manque. »
« Qu’est-ce que tu racontes, papa ? »
« Tu ressembles un peu à Ronaldo, tu ne trouves pas ? »
« Qu’est-ce que tu veux me dire ? »
« Pas le Portugais, l’autre. On parle un peu moins de lui maintenant. Mais c’est vrai, tu lui ressembles. C’était l’un des meilleurs. Tu ne voudrais pas faire du foot ? »
« J’aime pas. »
« Tu pourrais essayer. Je t’inscris dans un club. Aux premières séances d’entraînement je t’accompagne. »
« J’aime pas, je te dis. C’est pas mon truc. »
« Essaye au moins. Parfois, quand on essaye, l’envie vient et tout change. »
« Quoi encore ? »
« Ou de la boxe ? »

Il a vidé son verre, s’est levé d’un geste abrupt.

« Attends. J’ai encore quelque chose à te dire. »
« Quoi ? »
« Tu vas passer quelques jours chez tes grands-parents. Ils t’attendent déjà. »

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