mercredi 17 avril 2019

Notre-Dame de Paris


Le vieux centre historique de Paris avec la cathédrale Notre-Dame, l’île de la Cité et l’île Saint-Louis sont au cœur de mon premier roman, La Vie pétrifiée, paru en 2008 aux éditions Quidam. Voici quelques extraits de ce livre :





Extrait I



Mardi c’était mon anniversaire. Le trente-troisième. J’ai longé comme tous les jours la colonnade des châtaigniers, dans l’ombre des tours, sous le rire moqueur des gargouilles. Je m’approchais de ma blouse aux grandes poches. Soudain j’ai été pris d’une forte répulsion. Je me suis arrêté. Et j’ai fait demi-tour. Je ne voulais plus travailler. Je me suis dit que j’avais le droit de ne pas aller au travail parce que c’était mon anniversaire. Pourtant je n’avais rien à attendre. Mon cadeau, je l’avais déjà depuis presque une semaine. C’était la montre de ma mère. J’ai poursuivi mon chemin en choisissant des rues opposées à mon trajet habituel, je me suis engagé dans une ruelle qui était bordée d’étroites maisons médiévales. J’étais à l’aise auprès de ces demeures étriquées, serrées les unes contre les autres, parcourues de colombages, avec leurs toits raides et pointus. J’étais toujours très proche de la cathédrale. Je voyais transparaître des fragments de la grande rosace du mur latéral à travers les fines fissures entre les vieilles maisons. Je suis descendu sur les quais du fleuve. Il y avait deux cygnes qui flottaient majestueusement dans l’eau grise et calme. Un vieil homme était accoudé à une balustrade du quai. Il était vêtu d’un imperméable très épais et il avait le regard inlassablement fixé vers un point lointain dans l’eau. Par des chemins détournés, je suis rentré sur mon île. J’ai traversé le grand pont qui joint mon île à la ville. En marchant sur le pont, j’ai de nouveau aperçu la cathédrale, dorée dans la lumière du matin. Elle était splendide maintenant, vue de loin, par le côté éloigné des tours, elle était étincelante comme si quelqu’un l’avait repeinte en or. Le matin était calme, froid et ensoleillé. Après le pont, mon chemin m’a conduit sur le grand boulevard que j’ai descendu un temps, jusqu’à ce que j’aperçoive à gauche, le long d’une rue qui monte, la coupole du dôme. J'ai monté la rue. Sur le parvis, il y avait un petit bois de sapins artificiels. Les branches des arbres et le sol étaient blanchis par de la neige artificielle. Au-dessus, s’étendait la coupole, d’un ovale presque rond, haut dans le ciel, au-dessus des sapins. Il s’en dégageait une harmonie et une simplicité profondément rassurantes. J'ai poursuivi mon chemin. Je n'ai rien d’autre à dire. Je me promène. Je me promène dans la ville d’hiver.





Extrait II





Le mercredi vers six heures j’ai enfermé la blouse blanche aux grandes poches dans l’armoire et je suis parti. J’avais hâte de rentrer sur mon île. Mais il y avait quelque chose d’étrange. Quelque chose de différent. Sur la place de la cathédrale, on entendait un bruit énorme, sombre et répétitif. J’ai mis du temps à comprendre : c’était une cloche qui sonnait dans la cathédrale, dans la tour de droite. Je voyais la cloche bouger, son mouvement lent et lourd dans la tour. C’est très rare que les cloches de la cathédrale sonnent. C’est pourquoi plusieurs personnes s’étaient arrêtées comme moi pour regarder la cloche bouger là-haut dans la tour. On se demandait pourquoi elle sonnait. Personne ne connaissait la réponse. J’avais des frissons. La cloche était comme un avertissement. J’ai repris ma marche, sous l’ombre des tours et sous le rire moqueur des gargouilles, et je me suis rapproché de mon île. J’ai traversé le pont.



Mais je ne suis pas rentré tout de suite. Il faisait trop beau. Le soleil brillait et j’adore comme peu d’autres choses cette chaleur fugitive sur la peau en plein hiver pendant qu’il fait froid, en principe. J’adore la lumière du soleil sur les arbres noirs et mouillés, l’hiver. Et le ciel bleu au-dessus du fleuve et des murs gris. J’ai marché sur les quais, vers la pointe de l’île. Après un temps j’ai aperçu une silhouette, petite, lointaine, immobile comme une statuette. Quelques pas plus tard, j’ai compris que c’était quelqu’un qui contemplait la façade d’un immeuble. Je connaissais bien cet immeuble. C’était l’un des plus vieux de l’île et l’un des plus beaux aussi. Je faisais de même parfois ; je m’y arrêtais, juste pour regarder les masques. Ce sont des masques en plâtre qui portent la marque du temps ; j’ai imaginé parfois, quand j’étais là, debout devant la maison, que d’abord venait la brume, qu’elle pénétrait les pores des masques comme dans de la peau juvénile et qu’ensuite, venait la poussière noire du temps qui s’étalait comme une deuxième couche sur cette peau adoucie par l’humidité. Puis venaient les larmes de la pluie, laissant réapparaître à travers leur sillage, l’éclat clair du passé. C’est ce que je pensais à la vue des masques. Et beaucoup d’autres choses. Car les pensées à propos des masques ne sont jamais les mêmes. Tantôt ils cachent un visage, tantôt ils sont le visage lui-même. Je connais une toile : deux hommes sont attachés sur un gigantesque poisson avec lequel ils tombent à travers un espace vide et vaste. Ils tiennent chacun dans leur main un masque de l’autre, ils se le montrent mutuellement comme un serment, comme une promesse de leur solidarité éternelle. Les masques sur les fenêtres avaient les yeux écarquillés et la bouche déformée pour lancer un rire furieux. Ils avaient l’air drôle et sympathique tout de même. C’était comme s’ils partageaient une joie secrète entre eux, sur quelque chose qu’on ne pourrait jamais deviner.





Extrait III





Je suis rentré à pied. J’ai choisi le chemin le long du canal. Son eau était toujours gelée. Dans la ville régnait un silence presque absolu. Le ciel était d’un blanc de craie, lointain et morne. Le temps de la glace battait son plein. Visiblement les gens avaient choisi de rester chez eux, d’attendre que ça passe. Les seuls bruits qu’on entendait étaient le ronronnement de quelques voitures qui passaient à de longs intervalles, les cris d’une nuée de mouettes qui tournoyait à haute altitude ou encore l’aboiement d’un chien qui longeait nerveusement le mur du canal, en expulsant de sa gueule de petits nuages d’haleine blanche. L’air était froid au point qu’il brûlait les yeux, les mains, les pieds, la trachée. J’ai été frappé d’une toux douloureuse et rauque après peu de temps dehors. Il y avait une sécheresse tangible dans cet air glacé qui menaçait de faire des ravages. Des ravages parmi les gens, les arbres, les animaux. Les immeubles le long du canal, qui semblaient l’autre jour, vus du bateau, défiler avec un mouvement fluide et gracieux, étaient désormais comme pétrifiés, des ruines poreuses percées d’orbites aveugles et vides. Les arbres leur ressemblaient. Ils avaient l’air desséchés, creux, comme habités d'une sorte de pâleur maladive qui les rongeait et consumait leur vie. Il fallait faire attention à ne pas glisser. Et à ne pas marcher en-dessous des arbres et des immeubles. Le long des rues, aux carrefours les plus fréquentés, les autorités avaient placé des affiches qui indiquaient les mesures de sécurité à prendre et qui faisaient appel à la solidarité générale. La principale mesure à respecter était de se garder à distance des bâtiments et des arbres à cause des chutes de branches et de cônes de glace. Malgré les éliminations quotidiennes, les chutes de glace avaient déjà fait une vingtaine de victimes. La population était invitée à économiser les carburants en raison des difficultés de ravitaillement. En poursuivant mon chemin, je suis passé devant un stand d’intervention mis en place par la mairie qui distribuait gratuitement du thé et du bouillon chaud ainsi que des gants, des écharpes, des protège-oreilles. J’ai pris une boisson et des gants. Il fallait boire vite ; après une cinquantaine de pas seulement, la boisson était froide et les premières miettes de glace surgissaient à sa surface.



Ce qui se passait dans la ville était inquiétant et triste. Mais en même temps il y régnait une ambiance de jamais vu, qui pouvait occuper l’esprit, piquer la curiosité et distraire.



Je me suis approché de la cathédrale. Elle était transformée au point qu’on ne pouvait plus la reconnaître. D’innombrables cônes de glace géants pendaient comme des stalactites des arcs-boutants, du toit, et des moulures. La cathédrale était devenue un monstre, un mammouth s’extirpant d’un marécage. Des camions de pompiers étaient postés autour du bâtiment ; on en sortait des échelles mécaniques et des pompiers y montaient pour briser les cônes de glace à l’aide de tronçonneuses et de marteaux.





Extrait IV





L’exciseuse était recroquevillée dans son lit, le dos courbé, les genoux serrés contre la poitrine, les coudes pliés, comme un embryon. Elle était très maigre et elle me paraissait un peu confuse. Par la petite fenêtre à barreaux, juste au-dessus de son lit, j’apercevais les parties hautes des tours de la cathédrale. L’exciseuse était comme écrasée par ces tours en forme de cubes argentés, gigantesques. La veille, elle avait été condamnée à sept ans de prison ferme. Elle avait soixante-dix ans. Dans sa main droite elle tenait une sorte d’objet fétiche, fait de coquilles, de corail et de pierres qu’elle secouait d’un mouvement bref et répété tout en murmurant des paroles magiques ou des prières. Quoiqu’il en soit, je n’étais pas là pour comprendre ou pour interpréter ce rituel, mais pour déterminer si cette femme avait subi une crise cardiaque ou pas. Je l’ai examinée et j’en ai conclu qu’elle n’avait pas eu de crise cardiaque. Je l’ai encore observé pendant un temps secouer son objet fétiche, marmonner ses paroles. Elle ne me donnait pas l’impression de savoir où elle était. Elle me paraissait dans un autre monde, très éloigné, et je pense même qu’elle ne savait pas qu’elle était prisonnière. D’elle, oui, j’avais un peu pitié.










mardi 9 avril 2019

Maison Julien Gracq



Je tiens à remercier très chaleureusement la Maison Julien Gracq qui m’accueille depuis deux semaines en résidence de création et où je resterai jusqu’à la fin du mois.

Sous la fenêtre de mon bureau coule la Loire qui me montre un bel idéal d’écriture : un fleuve, profond et puissant, avançant constamment dans une même direction, et en même temps léger et agréablement rythmé comme les menus peupliers sur l’autre rive.

Un grand merci donc à Emmanuel Ruben, le directeur de la Maison Julien Gracq ainsi qu’à Jérémy, Morgane, Sophie et Maïlynn pour leur accueil et leur présence chaleureuse et professionnelle.










dimanche 6 janvier 2019

2019


 En guise de vœux pour la nouvelle année, voici quelques vers d’Hafez de Chiraz (1325-1389), grand poète de langue persane que j’affectionne pour la beauté de sa langue et sa grande profondeur d'esprit. Bonne lecture !


Le repos dans les deux mondes
réside en ces quelques mots :
Indulgence aux ennemis,
pour les amis Amitié.



Caresse un bel objet et ne viens pas nous dire
Que bonheur et malheur ne sont que de mécanique astrale.



Prends garde, la vie passe et ne tient qu’à un fil :
                                               Mieux vaut le souci de soi-même
                                                                               Que le chagrin des jours.



La jeunesse a fui, mon cœur,
                                                               et nulle rose cueillie !
Cherche à cet âge l’honneur
                                                               que l’Œuvre seul procure.



Quitter le désir de vivre
                                               était somme toute aisé
Autrement plus difficile
                                               est rompre avec les Aimés.