Allégorique, le deuxième livre de
Nils Trede, médecin allemand qui vit à Strasbourg, Le Nœud coulant empoigne l’absurdité
d’un monde totalitaire et réfléchit l’altérité comme un soleil réchauffant les
terres glacées, le cœur des hommes barbares.
En moins de deux cents pages, Nils Trede nous fait
basculer dans un conte horrifique, une allégorie de l’absurdité totalitaire qui
glace le sang.
D’un ciel bas, fuligineux et monotone, il fait surgir
North, une ville située à un bout du monde, repliée dans une existence
autarcique, façonnée par une violence héréditaire qui se survit dans le silence.
L’uniformité de North a réduit l’imaginaire, bridé le plein vent de la vie,
soustrait tout élan de liberté. C’est dans le meurtre, les rituelles arrivées
de Marlins, l’extermination des thons que s’activent ses habitants au lignage
dégénéré. Animé par un style économe mais impressionniste, minimaliste mais
poétique, Nils Trede a choisi d’écrire en français plutôt qu’en allemand, sa
langue maternelle. Son enfance à Heidelberg fut rythmée par l’apprentissage de
la langue de Molière.
C’est un homme affable de nature contemplative,
appréciant la mélodie du silence, la poésie de la nature propice aux rêveries
qui écrit autant qu’il respire et mange. Écrire, dit-il, c’est reformuler une
question juste, approcher la complexité de nos existences, l’évanescence des
paysages.
Marqué par les lectures de Berlin Alexanderplatz de
Döblin, de l’ Étranger de Camus, Nils Trede se reconnaît dans ces destins
d’individus en prise avec la société. Médecin des corps autant que des âmes, il
en observe avec empathie les ambiguïtés.
Est-ce cet écart qui confère au Nœud coulant, le
deuxième roman qu’il édite aux Impressions Nouvelles, une maison d’édition
francophone de Belgique, une étrangeté particulière, une originale vibration ?
Au fond, ce style en dehors du monde fait idéalement affleurer l’incongruité de
North.
Dans cette terre glacée, baignée par des eaux sombres,
rougies par le sang, s’y déroule une vie répétitive. En mai, les thons qui
passent dans la baie sont pris dans un filet géant (le nœud coulant qui donne
le tire), puis tués l’un après l’autre dans une hécatombe qui dure quinze
jours. Un jour, un étranger – écrivain, journaliste – arrive et lézarde la
réalité. De sa rencontre avec Miss D une femme qui tente de résister à
l’aliénation, un enfant naîtra. David, qui quelques années plus tard, sera
sauvagement sacrifié par Stone, l’implacable fils du boucher. C’est le bras
armé de ses congénères dégénérés qui ne supportent plus l’autre portant les
ferments de la désintégration du monde de North. À la manière des livres de
Kafka, celui de Nils Trede devient l’allégorie d’une idéologie identitaire.
« C’est à ce moment-là que j’ai compris que le nœud
coulant atteint tout, qu’il n’y a rien qui lui échappe, rien et personne, qu’il
s’infiltre partout comme une maladie pernicieuse qui se propage à travers l’air
en minuscules particules ». L’écrivain referme son roman par une boucle aussi
inattendue qu’enthousiasmante. D’une grande beauté, l’épilogue, situé dans le
Midi de la France, annonce l’écriture du roman que nous sommes en train de
lire. Le narrateur, double de l’auteur, met en scène les ressorts de la
tragédie de North.
À North, les choses ne sont déjà plus comme avant.
L’arrivée des navires dans la baie a brisé l’isolement. S’y sont développés des
circuits touristiques vantant le Marlin’s Arrival Day et des séminaires de
ressourcement spirituel dans les prairies entourant la ville. Ne faut-il pas
que tout change pour que rien ne change ?
http://www.dna.fr/culture/2012/04/22/recit-d-un-arrachement
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